samedi 7 mai 2011

Sortir du modèle compétitif avec nos enfants

L'autre jour, j'étais au parc avec mon fils (il a 28 mois). Il faisait doux et sec. Luckas s'amusait à grimper sur les bancs, descendre, remonter, avec mon aide, sans mon aide, à sauter du banc pour mieux y revenir, dans d'incessantes allées et venues. Il semblait inépuisable et, tout concentré pourtant qu'il était, il avait un grand sourire sur le visage; cela avait visiblement l'air de l'amuser beaucoup. Un peu plus loin sur la pelouse, deux jeunes garçons d'une dizaine d'année couraient après un ballon. Ils avaient indiqué deux buts virtuels avec leurs vestes et pulls et chacun essayait de marquer un goal dans le but de son adversaire. Ils étaient très concentrés, et s'accrochaient parfois l'un à l'autre pour s'empêcher de passer, et quand finalement l'un des deux tirait et marquait un but, il montrait sa joie par des gestes de bras levés au ciel et de V avec les doigts tandis que l'autre n'avait pas l'air de trouver ça amusant du tout et semblait plutôt râler. Quelle drôle d'idée ! moi qui croyais que faire du sport, c'était pour s'amuser... ici ces deux jeunes garçons voulaient visiblement gagner et jouaient avec un esprit de compétition.

Est-ce cela que je souhaite montrer à mon fils, lui apprendre: qu'il y a des gagnants et donc, des perdants?? non je trouve ça plutôt terrible en fait... la concurrence, la compétition, la comparaison qui se jouent en permanence dans notre monde ne sont-ils pas à l'origine de tous ces conflits que nous constatons chaque jour autour de nous et loin de nous? est-ce dans ce monde-là que j'ai envie de continuer à vivre ou ai-je plutôt envie de sortir de ce modèle et proposer à Luckas autre chose? Autre chose qui respecte ses Besoins Fondamentaux et notamment son Besoin d'Amour.

Chacun de nous n'a-t-il pas envie d'être accepté pour qui il est, en dehors de toute comparaison et en dehors de toute course à la performance, sans devoir gagner à tout prix par peur d'être du côté des perdants, parce que perdre c'est pas chouette, c'est nul, on est pas considéré, on est même triste pour nous… Pffff, c'est clair, ça m'est égal de perdre ou de gagner, ce que je veux c'est être heureuse et faire ce que j'aime, sans me comparer à quiconque. Et pourtant… ça m'arrive parce que ce modèle compétitif, je suis tombée dedans quand j'étais petite. Si je me compare, si je ne me sens pas à la hauteur (par rapport à quoi?), si j'ai peur de rater (de perdre en somme), c'est bien parce que je crois que je dois être performante, au top, efficace en permanence, ne pas faire d'erreurs, etc. Dès l'école déjà, on nous apprend qu'il vaut mieux être dans les premiers que dans les derniers, même pour des trucs qui ne nous intéressent pas. Je me souviens, quand j'étais au lycée, au cours de gymnastique, nous faisions des exercices de saut en longueur. J'aimais beaucoup le cours de gymnastique parce que j'avais besoin de bouger et cela me permettait de sortir de ma tête qui pensait beaucoup. Le professeur a donc commencé à nous faire faire des sauts en longueur et je me débrouillais assez bien je dois dire. Je trouvais ça vraiment très chouette d'arriver à aller de plus en plus loin et dépasser chaque fois un peu plus la distance que j'avais fait précédemment et découvrir finalement ce dont j'étais capable. Je me concentrais et sautais aussi loin que je pouvais. Cela se passait dans l'amusement et l'encouragement des unes et des autres. Mais mon amusement fut de courte durée… quand la prof a demandé aux "meilleures" de continuer pendant que les autres feraient un autre exercice dont je ne me souviens plus. Vous pensez que je n'étais pas parmi les meilleures et que c'est pour ça que je ne me suis plus amusée? et bien si ! nous étions 5 à pouvoir continuer... continuer à sauter non plus pour se dépasser soi mais pour se dépasser les unes les autres.. même si ce n'était pas l'intention du professeur, c'est en tout cas comme ça que je l'ai compris et cela ne m'a plus amusée du tout... Tous mes efforts étaient concentrés sur le fait de dépasser non pas ma performance mais celles de mes copines. Autant vous dire que je ne me suis plus dépassée du tout, ayant perdu tout intérêt pour le saut en longueur... j'en garde malheureusement encore aujourd'hui un goût amer pour l'effort physique que j'évite en général, ne me sentant pas vraiment à la hauteur.

Luckas continue à monter et descendre du banc, peu importe qu'il le fasse vite, bien, longtemps, peu importe… je ne l'inscrirai pas dans un sport qui apprend la comparaison ou la compétition. Je préfère qu'il continue à avoir du plaisir à bouger son corps, à développer ses capacités physiques, à faire ce que en Éducation Syntropique, on appelle la kinétique. Mais ça, je vous en parlerai dans un prochain article.


Laurence Legrand
Aligneuse et Animatrice en Éducation Syntropique
www.blanchecolombe.be

6 commentaires:

  1. Si je peux me permettre de faire "l'avocat du diable" :
    - Je suis sceptique quand je lis des arguments "anti-compétition", énoncés par des gens qui ont subi le système "pro-compétition"... et qui ne s'en sortent pas si mal !
    - Je ne suis pas convaincu par des expressions creuses de type "être soi-même". Et si la volonté d'être le meilleur, faisait partie intégrante de la personnalité de certains enfants ? Dans ce cas, la sortie du modèle "compétitif" serait néfaste à ces enfants qui ont besoin d'émulation pour "avancer".
    - N'y a-t-il pas un risque, par cette pratique de non-compétion, de tirer le niveau général vers le bas ? Autrement dit : ne fabriquerait-on pas des "sous-diplomés" par peur de fabriquer des "traumatisés" ?
    - Pourquoi faut-il remettre en question le principe même de la compétition, et ne pas se contenter de lutter contre ses dérives (humiliations, etc) ?

    Je ne suis pas adversaire de votre démarche, mais je continue de me poser des questions. Vos propositions sont séduisantes, mais les arguments n'ont pas fini de me convaincre, car je les trouve trop "dogmatiques". J'attends une argumentation plus approfondie sur le "pourquoi du comment", les "tenants et aboutissants"...

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  2. merci Thierry pour votre questionnement.
    Je ne prétend pas convaincre et je souhaite proposer ma réflexion et mon expérience. merci de me permettre de préciser ma pensée.
    Suis-je dogmatique ? j'ai en tout cas une grille de lecture: l'éducation syntropique avec les 7 Besoins Fondamentaux. Un de ces Besoins Fondamentaux c'est l'amour, c'est à dire le besoin d'aimer et d'être aimé de manière inconditionnelle (dans le monde actuel, à part quelques personnes "réalisées", personne n'arrive à satisfaire ce besoin, soyons clair). Tout ce qui est de l'ordre du jugement et de la comparaison empêche ce besoin fondamental de pouvoir être satisfait, et donc la compétition c'est pareil et c'est pour ça que je soumet ce sujet à la réflexion de tous.
    Je pense que chacun a en soi une envie d'apprendre et d'évoluer, de devenir meilleur afin de manifester son potentiel et prendre sa place dans le monde (c'est le besoin fondamental de cohérence - être en cohérence avec qui je suis et avec le système dont je fais partie). Et il n'est pas nécessaire de se comparer, d'être plus fort que quelqu'un d'autre pour vivre pleinement sa vie. au contraire, je crois même que dévier l'énergie d'apprentissage vers la comparaison et la compétition risque d'induire chez certains (les perdants) un découragement et le sentiment d'être nul, pas à la hauteur, et chez d'autres (les gagnants) une envie d'en faire toujours plus sans jamais être satisfaits.
    Quant à l'émulation, je préfère de loin cette notion, car il s'agit pour moi d'avoir envie de se joindre à quelqu'un qui est enthousiaste et plein d'énergie positive, pas de vouloir le dépasser.. partager l'enthousiasme et participer à un élan commun est tout sauf de la compétition. Avancer ensemble !

    Enfin, je crois que tout le monde a subi et subit encore ce système pro-compétition, c'est le monde dans lequel nous vivons me semble-t-il, et si j'ai l'air de ne pas m'en sortir si mal comme vous dites, c'est parce que j'ai fait du travail de développement personnel et je n'ai pas fini..

    J'espère voir pu apporter quelques éléments de compréhension. Bonne soirée

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  3. Merci pour votre réponse rapide.
    Je suis d'accord avec vous sur les généralités et les grands principes (le besoin d'être aimé, la volonté de chacun de réussir, la "fuite en avant" de la compétition, les bienfaits de l'émulation saine, etc.
    Je reste perplexe sur la mise en oeuvre concrête et les dérives possibles de ce système alternatif.
    Je précise enfin que dans ma pensée, un "dogme" est un principe ddont l'efficacité n'est pas démontrée rationnellement (de type : "il faut le faire parce que c'est bien").
    Je vais poursuivre tranquilement ma réflexion, en explorant une piste que vous m'évoquez : l'éducation syntropique (?).
    Bonne soirée

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  4. >> "Je précise enfin que dans ma pensée, un "dogme" est un principe dont l'efficacité n'est pas démontrée rationnellement (de type : "il faut le faire parce que c'est bien")."

    A mon avis c'est ce que les educations alternatives tentent de faire tomber, par refus du dogme de l'education nationale et intergenerationnelle etabli et fige, en proposant des pistes de reflexions non statiques, evolutives basees sur l'experimentation principalement (demarche scientifique) dans le but de faire evoluer l'Humanite dans le bon sens. Egalement, ces sciences alternatives de l'education (que l'on peut embrasser completement ou piocher/glaner) s'inscrivent dans des demarches reflexives philosophiques voire mathematiques (cf. de Montessori a Aristote) et donc par definition de se rapprocher de la "raison", et de "raisonnements rationnels".

    @ Thierry, la reflexion doit etre personnelle et individuelle. Cette demarche qui est la votre est donc geniale et authentique. Bravo !

    @ Laurence, merci pour ce partage !

    Sandrine

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  5. Je suis profondément attachée à la notion d'émulation. on peut mettre la compétition "pure et dure" de côté tout en encourageant les enfants à se dépasser, aller au-delà de ce qu'ils pensaient être capables de faire. Cela se peut si il y a quand même une sorte de comparaison entre les enfants: ils se rendent bien compte eux-mêmes que d'autres réussissent mieux. Il suffit simplement de valoriser l'effort et la réussite. En ce qui concerne le sport plus spécifiquement, j'ai aussi beaucoup souffert de l'évaluation de mes capacités physiques, je n'étais pas spécialement dégourdie. Mais je crois qu'aujourd'hui on est quand même beaucoup plus dans un schéma de valorisation d'un parcours individuel que dans un schéma d'évaluation par le haut.

    Cela dit, je reste persuadée que ce n'est pas en omettant de dire à l'enfant que ce qu'il fait est en-deçà des attentes qu'on lui rend service. Je trouve que les risques d'une telle chose (et je le vois tous les jours dans mes classes) est que l'élève attend d'être valorisé pour le moindre petit effort. Se comparer aux autres, entouré du regard bienveillant d'un adulte, est une bonne chose à mon avis.
    Je pense que cela fait aussi partie de la vie que d'être déçu, de ne pas se sentir "à la hauteur" par rapport à une exigence; la vie montre qu'on peut réussir dans un domaine et pas dans un autre. On a tous nos forces et nos faiblesses, n'est-ce pas ?
    Quant à la notion d'amour: ce n'est pas parce qu'on se compare aux autres qu'on ne peut pas être aimé. Je ne vois pas où vous voulez en venir, c'est à mon sens un raccourci.

    Au plaisir de vous lire !

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  6. Bonjour !
    C’est vraiment intéressant ce que vous dites et tombe pile avec ce que je pensais il y a qq jours. Mon fils a 27 mois (donc comme le vôtre) et je suis allée avec mon mari pour la première fois à ce que les Britanniques appellent « teacher-parent counceling » une courte entrevue de 15 minutes pour parler de l’enfant à l’école. Bon, mon fils est en « pre-school » donc ce n’est pas la fac de medecine. J’ai été sidérée lorsque l’une des maîtresses à dit comme introduction (et je peux me permettre de le dire ici vu l’anonymat du Blog) « votre fils est le meilleur des élèves ! » Mais cela veut dire quoi ? A 2 ans et des poussières ? Déjà jugé, gradé, comparé. Je n’ai pas aimé.
    Je crois que les enfants devraient apprendre à être « compétitif » : si vous voulez utiliser ce terme, avec eux-mêmes. Comme votre adorable fils qui monte et descend le banc, tout seul, avec de l’aide, en souriant, etc… et non pas contre quelqu’un d’autre. Le sport, les arts, l’alphabet même ne devraient pas être introduit de manière compétitive avec des médailles, des notes, des classements. Mais plutôt l’enfant devrait apprendre pour la joie d’apprendre. Les systèmes scolaires de toutes souches (américaine, britannique, française… surtout française !) restent très imbibées de cet « esprit de compétition », de classement, de notes. Je crois que comme parents nous devons guider nos enfants à travers ce labyrinthe pour qu’ils comprennent pas eux-mêmes la joie de tirer un but avec un ballon, de faire un devoir bien fait, de jouer une note de musique avec clarté, sans que cela soit en comparaison avec d’autres. Mais cela ne veut pas dire que l'on ne peut pas applaudir! Et embrasser! Et féliciter!
    Merci pour votre billet. Il fait réfléchir.

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